Angoisse à la souche
Le xénophobe est irrationnellement hostile envers les étrangers. Contrairement au racisme, la xénophobie n’inclut pas la notion de supériorité d’une race face à une autre. On parle plutôt de chauvinisme, d’hostilité.
Les Québécois ont la réputation d’être très accueillants. Et ouverts. Cette affirmation est valide, mais pour une partie de la population seulement. Certains encroûtés sont seulement passés maîtres dans l’art d’être de bons hypocrites. Et ces derniers sont plus nombreux qu’on ne le croit. On dit parfois que les Québécois sont des Français heureux. Beaucoup sont aussi râleurs que les Français, la différence c’est qu’ils le font en cachette, tels de vicieux petits gamins!
Pourquoi tant de Français se plaignent-ils qu’ils n’arrivent pas à se faire d’amis québécois ici?
Parce que l’accueil de l’autre, aussi chaleureux soit-il, va rarement au-delà de la simple politesse.
Une fois l’étranger parti, ravi par cette belle cordialité, une fois que la porte s’est refermée derrière lui, croyez-vous que ses hôtes peuvent se retenir de commentaires négatifs, même à mots couverts? Rarement. Combien de Québécois m’ont jugée parce que je consacre du temps à l’écriture d’un livre sur ces mêmes étrangers? Trop! Il y en a que ça agresse, qui me disent avec sarcasme : « Pis? Comment tu vas l’appeler ton livre? Les Français, mes amours? Ou plutôt Les Français, ces gens tellement supérieurs aux Québécois? »
Arfff.
Lâchez-moi ce complexe d’infériorité! Elle est là l’épine dorsale du problème : le Québécois est parfois mal à l'aise avec l’étranger parce qu’il n’a toujours pas confiance en lui. Il s’est tellement cherché. Il s’accroche désormais à ce qu’il pense avoir trouvé comme identité et sue d’angoisse à l’idée d’être déstabilisé. Voilà qui peut le rendre inquiet – xénophobe dans certains cas. Le Français parle « mieux » que lui, a une personnalité plus forte et ô combien plus de charisme! Que c’est embêtant!
Elle est difficile à déraciner cette gêne diffuse d’être Québécois… Apparemment, notre passé, alors que les élites d’ici parlaient à la française pour faire preuve de leur supériorité, nous hante toujours.
Du concret
Dimanche après-midi rue Ste-Catherine Ouest. Balade au soleil. Derrière moi, deux hommes dans la trentaine discutent. J’apprends qu’un des deux comparses s’est fait voler (pour autant que ça puisse se voler) sa blonde.
- Quissé qui est parti avec? demande l’autre
- Un OSTIE de Français!!!
La discussion continue. Si au moins, son ex était partie avec un Québécois… BEN NON CALICE. Fallait qu’elle choisisse un criss de snob!
- Ça ben l’air qu’en plus d’nous voler nos jobs pis nos loyers, y’ont décidés d’nous prendre aussi nos femmes!, lance son copain - un cliché ambulant - avec une parlure digne du dix-neuvième siècle.
Juste avant de traverser la rue, je me retourne pour leur lancer un regard de feu.
Sa blonde ne s’est pas fait voler par un ostie de Français. Elle est partie — de son plein gré oui, oui — avec un autre homme. Point à la ligne. On peut être charmé par les qualités ou la beauté de quelqu'un, mais sûrement pas par sa francité. En tout cas, pas au point de foutre en l’air son couple actuel. À mon humble avis.
Soir de canicule. Je dors la fenêtre ouverte. Cette dernière donne sur le Divan orange, un bar-spectacle. Des cris me tirent du sommeil.
- Non! C’est juste que j’en ai plein mon cass de me sentir comme un criss de tas de marde!
Une chicane! Je me lève et, carnet en main, sors par la fenêtre pour me poser sur la corniche. Seul public du spectacle.
- Ça, c’est un peu ton problème, mec. Déjà, peut-être que si tu commençais par apprendre à parler… renchérit un petit homme à l’accent pointu.
Wow! Une chicane franco-québécoise! Il n’a pas tort, l’enragé est franchement vulgaire.
- Tu penses-tu vraiment que j’ai envie de parler comme toi? Comme un ostie de fif de suceux de graines de calice?!?
Ouche. Quelle avalanche de grossièretés. C’est loin d’être une insipide chicane d’ivrognes. Le Montréalais ne vomit pas que sur l’homme en face de lui, mais sur sa culture et tout ce qu’elle représente. Je n’entends pas ce que le Français répond, mais le Québécois s’emporte, perd toute dignité. Il dérape. En hurlant, il ordonne à son interlocuteur de retourner dans son pays « au plus sacrant! ». L’autre, qui semblait avoir gardé sa contenance tout au long de l’altercation, fait quelques gestes nerveux et finit par se sauver dans le bar, visiblement effrayé. Le Québécois, voyant cela comme une victoire se moque de celui qui ne l’entend plus, s’allume une cigarette, fait trois petits tours et puis s’en va. Fier.
De quoi? Je ne le sais pas.
Des exemples comme ça, j’en aurais assez pour vous pondre une brique.
Le Québécois : un p’tit comique
V. F., un Breton qui a vécu plus de 9 ans à Montréal, m’expliquait que ce qui l’avait frappé, c’était notre tendance à ce qu’il qualifiait de « racisme humoristique »: « La bonne blague aux dépens du Français de service, celle qui joue sur des stéréotypes un peu usés mais si partagés ». Du racisme « acceptable », selon lui.
J’ai également remarqué ce phénomène. Il faut faire la différence entre plaisanterie et intolérance somme toute officielle. Blaguons : le Français qui pue! Haha haha! Hi-la-rant! Acceptable?
Blaguons encore :La Burkinabéqui pue!
Oh. Hum. Étrangement, ça ne passe pas aussi bien.
Et pourquoi d’après vous?
V. F. a-t-il vu plus que ce « racisme humoristique »?
« Dans la rue, quelques « Ostie de Français! » par-ci, par-là, souvent dans des circonstances idiotes et pas justifiées. Mes “Va donc chier! ” ont dû en surprendre plus d’un… »
Que voulez-vous, le Québec est l’endroit où il y a le plus d’humoristes par habitant. Nous avons même la seule école de l’humour au monde. Faire passer ses messages par une bonne blague, c’est tellement nous. Je n’imagine pas ça autrement.
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La vérité, c’est qu’on les considère suffisamment choyés par la vie pour se permettre de les calomnier, de dire à voix haute qu’ils nous tapent sur les nerfs, de les poignarder dans le dos en ricanant. On n’a pas pitié d’eux. Surtout lorsqu’on sent qu’ils nous méprisent. Ou qu’on connaît quelqu’un qui nous a raconté avoir été pris de haut par l’un d’eux. Ou même si on ne connaît personne à qui c’est arrivé. Parce qu’on sait bien que ces maudits Français sont toujours méprisants. Voyons, qui l’ignore encore?
Nous considérons toujours nos moqueries comme étant de bonne guerre.
Les pires cas sont ceux qui tapent à l’oeil
Il y a de multiples catégories de Français. On ne peut les mettre dans le même panier.
Par exemple, il y a celui qui est fraîchement débarqué. Celui-là, il est presque toujours chiant. Que voulez-vous, ce n’est pas vraiment de sa faute. Il DOIT tout comparer à la France. Chaque personne est unique, soit, pourtant les Français en terrain inconnu ont visiblement tous les mêmes mécanismes de pensée. Ceci ou cela est-il mieux que ce qu’on a à la maison? Ceci ou cela est-il aussi bien que ce qu’on avait imaginé? Ceci ou cela est différent de ce qu’on connaît alors c’est normal d’en rire. Ce n’est pas de la méchanceté. On peut quasiment considérer que c’est inscrit dans le code génétique de tous les Hexagonaux. Ce Français-là, il faut l’endurer un peu, le temps que son syndrome s’estompe et que ce masque maudit tombe pour laisser la place à quelqu’un d’ouvert et d’agréable.
On ne peut comparer le Français qui veut de tout son cœur bien s’intégrer et faire sa vie ici au gosse de riche méprisant qui vient faire H.E.C à Montréal et se fout totalement des locaux. Ce dernier sait pertinemment qu’après avoir décroché son diplôme, il rentrera au bercail et ne remettra plus jamais les pieds en sol québécois. Voilà pourquoi il n’en a rien à battre et se conduit si mal. On ne peut comparer Valérie, dynamique propriétaires du café C’est la vie! à Val-David à ce trentenaire - originaire du sud dela France qui a gommé son accent pour parler à la parisienne - qui habite à Montréal parce que ce n’est pas loin de New York. Ce mec obsède sur les États-Unis. Il parle anglais aux francophones pour afficher avec orgueil son bilinguisme tout neuf. Il regarde de haut les pauvres petits canadiens-français que nous sommes et qui ne savent pas, selon lui, parler normalement le français ni l’anglais. Bien entendu, il est profondément détestable.
On l’a assez dit, des connards, il y en a dans chaque culture. Et c’est précisément eux les personnages les plus démonstratifs. On ne peut pas leur en vouloir. Ils ignorent leur connerie. Tentons alors de relativiser ce qui est « relativisable ».
Bienvenue à la campagne!
En région, les habitants sont moins habitués de flirter avec des étrangers. On peut se heurter à des mentalités très, très rances.On y trouve quantité de gens apparemment sensés, intelligents et très affables. Ces mêmes gens qui, vingt minutes plus tard dans la conversation, peuvent vous déballer nonchalamment tout un éventail de clichés pour le moins douteux.
« Vraiment?
- Oh oui ma petite-fille! Khadir, c’est juste un maudit arabe! Il va vous imposer la charia! »
Qui s’inquiètent de savoir s’il y a des noirs dans le quartier où vous habitez.
Qui ne peuvent concevoir une vie commune avec des Français… « Mais comment tu fais? Ce doit être in-sup-por-ta-ble! »
Vous voyez ce que je veux dire?
Loin d’être de la méchanceté, je crois qu’il y a surtout un grave déficit de connaissance à combler.
Est-il nécessaire de dire que je ne mets pas tout le monde dans le même panier? Peut-être. J’aimerais bien qu’on ne me crache pas au visage la prochaine fois que j’irai visiter mon adorable famille. Vous savez, moi, je généralise. C’est quand même plus simple que le cas par cas…
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On est fiers d’être Québécois d’origine? Et bien, nous, gens « de souche » nous croyons venir d’où au juste? Un peu comme si nous n’avions pas d’origines, comme si nous étions nés de la terre du Québec, tout comme nos ancêtres et que ça n’allait pas plus loin? Non, nous ne sommes pas nés d’une souche!
J’imagine déjà certains de mes compatriotes crier d’indignation, déchirer leur chemise ou casser le vase le plus près. Je ne nie absolument pas l’existence du « Québécois de souche » (on m’informe à l’instant qu’il faut maintenant dire Québécois d’origine canadienne-française. Soupir). Nous avons ces manières d’être et de penser qui nous sont propres. Je me plais à croire que je reconnaîtrais probablement un Québécois d’origine, n’importe où, n’importe quand. Même sans son accent.
Seulement, il faut garder en tête que nous avons tous été fécondés par des sources extérieures. Forcément.
Nous venons tous d’ailleurs.
De France, entre autres!
Et justement,la France, avec ses problèmes liés à l’immigration, devrait suffire à nous donner une leçon. Loin de moi l’idée de comparer nos enjeux interculturels — relativement mineurs - avec les difficultés plus graves qui sévissent dans l’Hexagone depuis plusieurs années. Seulement, il faut considérer tout le mal que ça fait, et que ça peut faire. Faisons gaffe!
« À qui est heureux, la lutte des classes semble soudainement secondaire », écrivait Muriel Barbery. Il en est de même pour la lutte des cultures. Alors, on prend confiance, on sourit, on s’ouvre et ainsi, on accepte de s’enrichir avec ce que nous offre l’autre, l’étranger.